Le croisement des regards… est un moment de rencontre réciproque

Rencontre-réciprocité-identité-légitimité

Dans son livre « La société des égaux« , Pierre Rosanvallon cite Georg Simmel :

Lorsque deux regards se croisent, il s’agit d’une réciprocité directe, absolument pure. Elle a la particularité de n’avoir aucun support objectif, à la différence d’une parole prononcée ou entendue par exemple, qui existe par elle-même. Le regard échangé est parfaitement réciproque au sens où « on ne peut prendre par le regard sans se donner aussi soi-même »…

Cela m’a rappelé la relation que j’avais instaurée avec mes enfants tout-petits, nourrissons.
Dans les multiples aspects de cette relation, il y en avait un qui consistait à me cacher… et à apparaître progressivement :
– Le « bébé » était dans son berceau, sur le ventre.
– Il relevait sa tête, dodelinante, parce qu’elle était trop lourde par rapport à sa force.
– À l’extérieur du berceau, je me cachais, et je me relevais lentement, très lentement…
– Progressivement, j’apercevais le haut de son crâne, puis son front…
– Au fur et à mesure que je remontais, mon regard, glissant sur le bord du berceau, descendait sa tête jusqu’à… son oeil.
– LÀ !
– À ce moment, après l’attente, il explosait d’un plaisir trop intense… qu’il exprimait en plongeant la tête dans l’oreiller et en repliant les genoux… comme s’il éprouvait ce plaisir dans le ventre.

C’est bien la rencontre de nos regards qui constituait la rencontre, car si moi-même, j’apercevais d’abord le haut de son crâne, lui-aussi le mien !
C’est à dire que tant qu’il ne voyait qu’une partie de mon corps, autre que mon oeil, il n’éprouvait pas le sentiment de la rencontre…
C’est au moment où il voyait mon oeil, mon oeil qui le regardait… que la rencontre avait lieu.
Le plaisir résidait dans la rencontre, donc réciproque.

Le sentiment de la rencontre représente le sentiment que l’on existe pour l’autre.
C’est une reconnaissance : Je suis moi, pour toi… Tu es toi, pour moi.
Et l’identité de l’enfant se construit par cette relation. Il acquiert le sentiment d’être, dans le regard des autres, des autres qui comptent pour lui, à ce moment-là.
Selon qu’on l’aura « reconnu » sans condition, c’est à dire sans qu’il ait été tenu de se conformer à nos désirs, il aura alors le sentiment de sa légitimité.
Et c’est sur ce sentiment de sa légitimité que reposeront ses sentiments de sa liberté et de sa responsabilité…

J’ai pratiqué cette rencontre avec mes enfants tout-petits, des centaines de fois, obtenant toujours le même plaisir et aussi le sentiment de la « rencontre », justement.
Je dois dire que mon plaisir était aussi intense que le leur !

Jean-Pierre Bernajuzan

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