Réforme de la démocratie : est-ce la question adéquate ?

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Réforme de la démocratie : est-ce la question adéquate ?

Notre démocratie va mal, dit-on. Est-ce si vrai ? Est-ce bien la démocratie qui va mal chez nous ? Ou bien, le mal se situe-t-il ailleurs ? Résoudra-t-on nos problèmes en réformant notre système démocratique ?

Un constat s’impose à tous, un désenchantement massif s’instaure à l’égard de notre classe politique et de nos institutions démocratiques, mais aussi de l’ensemble des institutions qui concourent au fonctionnement de l’État, de l’économie et de la société.
Cela se traduit par l’abstention électorale et par la montée des partis et des opinions populistes et extrêmes qui, s’ils ne répondent pas par des solutions concrètes, expriment au moins la défiance à l’égard de la classe et des partis politiques qui exercent la responsabilité des affaires publiques.

Cette évolution suscite de nombreuses réflexions, plusieurs chercheurs font des propositions pour sortir de cette situation délétère. Entre autres, le professeur de droit institutionnel Dominique Rousseau et l’historien, professeur au Collège de France, Pierre Rosanvallon.
Dans son livre Radicaliser la démocratie au Seuil, après une critique vigoureuse du fonctionnement de notre système démocratique, Dominique Rousseau propose une refondation qui s’appellerait la « Démocratie continue ». Elle répondrait aux insuffisances de notre démocratie représentative qui ne sollicite les citoyens-électeurs que lors des scrutins électoraux et qui les oublient ensuite, sauf quand ils manifestent ou quand ils se révoltent. Ses propositions sont intéressantes, probablement utiles pour approfondir le fonctionnement de la démocratie, en continu, avec une participation de ceux que cela intéresse.
Pierre Rosanvallon vient de publier Le Bon Gouvernement au Seuil. Je ne l’ai pas encore lu mais Pierre Rosanvallon s’exprime sur tous les médias, un article lui a été consacré sur le Monde des Livres. Ses critiques sont les mêmes que celles de D. Rousseau : « Pour les citoyens, le défaut de démocratie signifie ne pas être écoutés, voir des décisions prises sans consultation, des ministres ne pas ­assumer leurs responsabilités, des dirigeants mentir impunément, un monde politique vivre en vase clos et ne pas rendre assez de comptes, un fonctionnement administratif rester opaque. », « Nos régimes peuvent être dits démocratiques, mais nous ne sommes pas gouvernés démocratiquement »…
Les deux auteurs appuient leurs analyses sur les bases historiques de l’avènement de la démocratie et de son évolution, de sa mutation lors du passage au suffrage universel ; c’est très intéressant. Si j’adhère à leurs analyses et à leurs critiques, je ne suis pas sûr d’adhérer à toutes leurs propositions.

Mais la question que je me pose est autre : Est-ce bien ce manque de démocratie réelle « qui nourrit le désarroi contemporain » ? Est-ce bien le fonctionnement de l’instance de décision politique qui le nourrit ? Bien-sûr, lorsque ça va mal on s’en prend aux décideurs, c’est normal puisqu’ils sont les responsables des décisions collectives.
Ce désarroi contemporain est objectivement dû à la situation sociale et économique que nous vivons, avec l’incertitude qui crée l’insécurité économique. Insécurité économique traumatisante car on sort d’une période, les 30 Glorieuses, où l’emploi est garanti pour tous.
La mutation économique, la mondialisation, l’individualisation qui isole chacun, la difficulté à se projeter vers l’avenir, entre autres, constituent la menace qui « nourrit notre désarroi contemporain ». Et bien-sûr, notre démocratie ne sait pas y répondre.
Est-ce qu’un meilleur fonctionnement de la démocratie apporterait ces réponses qui nous manquent, par lui-même ? Apriori, non. Il n’y a pas de raison pour que la « bonne solution » émane spontanément d’une meilleure participation des citoyens au fonctionnement démocratique.
Si une meilleure démocratie ne résout pas nos problèmes, le désenchantement cessera-t-il ? Certainement pas. Et le risque est grand que, faute de pouvoir en rendre responsables les politiques, on finisse par accuser la démocratie elle-même de cette incurie. Il ne faut pas oublier qu’il demeure encore des régimes qui prétendent se passer de démocratie pour résoudre leurs problèmes. C’est très dangereux.

La démocratie est un instrument de gestion à la fois politique, social, économique, sociétal, juridique, culturel… de l’ensemble des caractéristiques de la société. Chaque aspect de chaque partie doit trouver un bon fonctionnement en articulation et en synergie avec les autres. Et ce sont les politiques qui sont chargés de l’organiser.
Mais se focaliser sur le fonctionnement démocratique pour résoudre nos problèmes me semble erroné et dangereux.
Même si ces réformes de la démocratie sont utiles et importantes, il ne faut pas faire des politiques des boucs émissaires. Ce serait injuste et inutile. Si l’insécurité économique et l’incertitude existentielle étaient abolies, je ne suis pas sûr que l’on se soucierait tant de la réforme de la démocratie.

Jean-Pierre Bernajuzan

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