En tant que représentants de l’État, vous êtes malheureusement le problème, pas la solution.

J’ai reçu ce message après la publication de mon article sur Telos : « Apprendre à vivre en paix dans des sociétés individualistes et hétérogènes » :

Monsieur,
Le syndicat SYNPER est un syndicat atypique qui tente d’apporter une réponse positive et innovante à ce que vous décrivez comme nos sociétés individualistes et hétérogènes.
Je serai heureux de pouvoir plonger la découverte de vos idées par une discussion conviviale et :
–  vous faire part de notre contribution, modeste puisque nous sommes des fourmis, à la résolution de l’énigme du retour à un savoir vivre ensemble.
– connaitre votre point de vue sur notre aventure et améliorer notre parcours par votre réflexion.
Bien cordialement,
Vincent CALLIES
http://www.synper.org
Notre charte : http://www.synper.org/spip.php?article103

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Bonjour Monsieur,

je vais essayer de vous apporter quelques indications.

J’observe qu’en devenant individualiste, la socialisation échappe à la maîtrise de la société, qui perd son pouvoir sur elle-même, tandis que l’État l’accapare tout entier tout en restant incapable de socialiser. Il y a donc là une contradiction fondamentale dans l’évolution du couple société-État. Nous sommes dans l’impasse.
Pour maîtriser la socialisation individualiste contemporaine, il faut que la société retrouve un pouvoir sur elle-même, il faut donc que l’État perde ce pouvoir au profit de la société. Or, c’est le contraire que l’on observe, c’est l’État qui concentre toujours plus de pouvoir, par conséquent aux dépens de la société. L’étatisation sclérosante continue…

J’ai écrit un essai (que j’essaie de publier) où je propose des réformes pour rendre à des instances sociales le pouvoir et la responsabilité de s’assumer et de maîtriser la socialisation, et pour cela, de reconfigurer nos institutions pour que l’ensemble de notre « système institutionnel » réponde à nos besoins nouveaux. Dans cette proposition de réformes sociales et institutionnelles, je fais intervenir les syndicats de salariés et d’entrepreneurs et les associations, pour contrôler et animer cette socialisation. Mais ces syndicats, généralistes, associations et entrepreneurs, représentent la société. La société, pas l’État : sinon cela ne servirait à rien.

Or, si j’ai bien compris, vous êtes un syndicat de fonctionnaires, c’est à dire que vous êtes des agents de l’État, des agents de l’omnipotence de l’État : en tant que représentants de l’État, vous êtes malheureusement le problème, pas la solution.

Essayons de voir l’évolution sur le long terme. Les États sont des créations récentes par rapport aux sociétés qui sont presque aussi anciennes que l’humanité elle-même. Pendant ces nombreux millénaires, le fonctionnement des sociétés et l’ordre social étaient donc contrôlés par les sociétés elles-mêmes. Ce n’est que récemment que l’État a pris le pouvoir, et je situe cette prise de pouvoir par l’État, particulièrement depuis l’avènement de la socialisation individualiste, et qui s’est approfondie, aggravée depuis l’alphabétisation car les parents ne pouvaient l’assurer eux-mêmes.

Tant que les sociétés restaient partiellement grégaires, elles perpétuaient la socialisation, l’État en prenait le contrôle sans difficulté majeure. Mais maintenant qu’elles ont disparu, la socialisation devient problématique si on n’arrive pas à une solidarité collective. Le collectif n’a pas toujours existé, il est advenu avec la socialisation individualiste. Avant, c’était l’ordre grégaire qui régnait par les familles, les tribus, etc. La solidarité collective ne peut être établie que par la société, l’État ne peut pas le faire parce qu’il ne fait pas partie de la société il se situe au dessus et en dehors d’elle.

La solidarité collective doit concerner la totalité de la société, à égalité, sinon elle n’est pas collective. Il faut donc que tous les individus participent à cette solidarité, à égalité. Ce qui exclut les avantages particuliers, les statuts particuliers… Or, l’État structure son action en accordant des droits différenciés, des statuts différenciés, inégalitaires. De l’extérieur de la société, d’en haut, il ne peut agir autrement. En définitive, l’État empêche la solidarité collective.

Mais on est tellement habitués à ce que la solidarité collective, nationale, soit exercée et incarnée par l’État ! Non, l’État empêche la solidarité collective mutuelle entre les individus, en leur assignant une place avec des droits sociaux particuliers, sans responsabilité les uns envers les autres : chacun attend les prestations de ses droits, il ne peut pas y avoir de partage mutuel. Au contraire, les droits de chacun dépendent de la limitation de ceux des autres, les individus sont ainsi concurrents, rivaux, au lieu d’être solidaires…

Il n’y a dans cette manière d’agir aucune malveillance, elle découle du simple fait que l’État n’étant pas membre de la société, son action ne peut se réaliser que par la distribution de prestations et de droits. Il les distribue donc, à certains et pas à d’autres, car il ne peut donner tout à tout le monde. Et ce faisant, en apportant des prestations tarifées qui sont des biens, il remplace l’échange mutuel individuel social par un apport économique, qui deviendra marchand… Le rapport marchand n’est pas une dérive libérale, il est consubstantiel à l’intervention de l’État. Les services publics masquent cet état de fait.

Pour répondre aux problèmes qui se posent à nous et pour les résoudre, il nous faut prendre en compte l’ensemble de la société, dans toutes ses catégories, à égalité, sans discrimination, sans se protéger apriori dans des statuts particuliers, et organiser la solidarité collective sans se cacher derrière l’État… Vous voyez, on en est très loin, chaque catégorie socio-professionnelle défend ses avantages particuliers contre… contre qui ? Contre les employeurs, contre l’État ? Non, contre les autres salariés.

J’arrête là pour le moment.
Mais êtes-vous prêts à remettre en question vos avantages particuliers pour les reconsidérer dans le cadre général de la solidarité collective sans vous cacher derrière l’État ? Actuellement les syndicats défendent des intérêts particuliers, et c’est une catastrophe. Mais ils n’ont pas les moyens institutionnels d’agir autrement.

Cordialement.

Jean-Pierre Bernajuzan

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