La méritocratie repose sur la déparentalisation

L’historien médiéviste Joseph Morsel décrit la singularité de l’avènement de l’Occident par la «déparentalisation» mise en œuvre par l’Église catholique.

Ce mot bizarre indique une action délibérée, obstinée, de l’Église catholique pour remplacer la filiation charnelle par une filiation spirituelle qui lui semblait mieux correspondre à la volonté de Dieu, telle qu’elle interprétait les textes sacrés. Pour mémoire, il faut se rappeler que l’Église orthodoxe n’en a pas eu la même interprétation et n’a pas obtenu les mêmes résultats.

L’action de l’Église catholique a démarré dès la chute de l’Empire Romain sur son aire d’influence, l’Occident, dont la dénomination découle de l’Église elle-même puisqu’elle était l’Église d’Occident, par opposition à l’Église d’Orient, l’Église orthodoxe.
Et l’on peut ainsi observer la différence entre les deux par les conséquences de leurs pratiques issues de leurs lectures divergentes des Évangiles.

L’action de l’Église catholique a consisté à disqualifier systématiquement la filiation charnelle au profit de la filiation spirituelle, allant jusqu’à interdire la présence des parents lors du baptême de l’enfant pour leur substituer les «parrain et marraine», baptême qui faisait de l’enfant une personne.

Le but du célibat des prêtres dans l’Église catholique n’est pas leur absence de relations sexuelles, mais leur absence de descendance

L’Église elle-même s’est structurée sur la base de cette déparentalisation : ainsi aucun évêque, aucun pape n’a eu de descendant (héritier). Les fonctions, les pouvoirs, les richesses de l’Église n’ont pu être transmis aux héritiers de ceux qui les possédaient ou les exerçaient. Leurs successeurs ont été choisis parmi les plus compétents, sans liens de parenté avec eux.

La méritocratie est un système social fondé sur le mérite, c’est à dire que l’on attribue une fonction à quelqu’un en fonction de sa compétence, et non en raison de ses liens de parenté ou autres, avec celui que l’on remplace, ou avec celui qui décide.

Bien-sûr, on peut décider d’accorder un poste à quelqu’un de sa famille s’il est compétent, mais en raison de la solidarité familiale on sait bien que l’on tentera de favoriser les «siens», même s’ils ne sont pas au niveau requis. Il en résulte que faute d’une rigueur morale radicale, la méritocratie ne peut durablement être mise en œuvre sans une rupture de la filiation charnelle.
Et c’est cette rupture que l’Église catholique a accomplie, structurant ainsi la société occidentale sur la sélection des compétences, et la désignation des responsables sur la base  de leur compétence : ce qui évitait toute tentation de favoritisme, de népotisme, etc. Cette façon de faire a permis à l’Occident d’être tendanciellement gouverné par les plus compétents, lui assurant ainsi tendanciellement une meilleure efficacité, une meilleure productivité…

La méritocratie ecclésiale a subverti les valeurs du sang de la noblesse

L’air de rien, en Occident, cette méritocratie s’est instaurée contre le principe de légitimation en vigueur dans la noblesse, où le «sang», l’origine, constituaient la base des attributions, des privilèges, des droits et des successions : dans la noblesse, un débile pouvait être le successeur et l’héritier s’il était né à la place adéquate.
On a souvent associé le clergé et la noblesse dans l’Ancien-Régime, contre le Tiers-État, contre le peuple… pourtant la logique du clergé était antinomique à celle de la noblesse. Et, à la fin, c’est la logique méritocratique de l’Église qui l’a emporté, contre celle de la noblesse.

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La République a repris la méritocratie à l’Église

On s’imagine souvent que la République a inventé la méritocratie, alors qu’au contraire c’est la méritocratie qui a produit la République.
Les Révolutionnaires, s’opposant à l’Ancien-Régime, voulaient fonder la nouvelle société et le nouvel État sur une autre légitimité que celle du sang et de l’origine, ils ont donc naturellement repris le mérite comme fondement légitime.

Pourtant, la filiation charnelle reprend du poil de la bête en matière de richesse, d’héritage et de capital : plus on est riche et plus on cherche à favoriser les siens, et plus la richesse, le capital se concentrent, produisant et attirant toujours plus de richesse, et plus les inégalités s’accroissent… qui ne permettent plus aux plus pauvres de vivre décemment pendant que les riches ne savent que faire de leur richesse.

On voit bien que sans la «déparentalisation», la méritocratie n’aurait pu se développer et  n’aurait pu réaliser son œuvre, elle en est bien la base.

Retour aux sources de l’Occident… Qu’allons-nous faire à présent ?

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