1 – Partie I – L’attachement social : un concept sociologique

Le sociologue Serge Paugam a publié ce livre en 2023. Il y décrit toutes les formes de liens qui constituent l’intégration sociale des individus, avec tous les concepts sociologiques qu’il déroule tout au long de son analyse. Je me propose d’énumérer tous ces concepts inventés depuis l’origine de la sociologie qui sont les instruments d’analyse des sociologues en 4 articles qui reprennent les 4 parties du livre, puis le 5ème pour la conclusion et ma critique.

L’ATTACHEMENT SOCIALde Serge Paugam

L’attachement social

1 – Partie I – L’attachement social : un concept sociologique


1 – Durkheim : de la solidarité à l’attachement aux groupes

L’énigme initiale de Durkheim : Solidarité mécanique et Solidarité organique ; deux concepts trop abstraits ?
Élaborer scientifiquement à l’université les idées de solidarité, son ambition est d’étudier les faits moraux et leur transformation.
La solidarité mécanique correspond à la solidarité par similitudes, qui renvoie aux sociétés traditionnelles. La solidarité organique est la forme opposée, celle des sociétés modernes.
Durkheim avait au préalable élaboré d’autres concepts : celui de la conscience collective qui est par définition diffuse dans toute la société ; mais elle n’en a pas moins des caractères spécifiques qui en font une réalité distincte ; elle est la même au Nord et au Midi, dans les grandes villes et et dans les petites, dans les différentes professions. Elle est le type psychique de la société. Ces représentations sociales impliquent une plus grande diversité d’origine. Si le concept de conscience collective semble peu adapté aux sociétés contemporaines, il reste pertinent pour qualifier les sociétés traditionnelles.
Pour Durkheim la division du travail que l’on observe dans les sociétés modernes sert la solidarité, elle en est même le fondement et l’effet le plus remarquable. La division du travail renforce leur complémentarité et les oblige à coopérer. Chacun acquiert ainsi de son travail le sentiment d’être utile à l’ensemble, il sent qu’il sert à quelque chose.


On aurait parfois tendance à penser que les sociétés traditionnelles étaient plus préservées des ruptures de liens que ne le sont les sociétés modernes, Durkheim parvient à prouver le contraire. Ce qui fait la rigidité d’un lien social n’est pas ce qui en fait la résistance. Lorsque la solidarité est fondée sur l’uniformité, la société n’est troublée dans son organisation interne ni par le départ de certains membres ni par l’arrivée de d’individus supplémentaires ; en revanche, lorsque la division du travail constitue le principe même de la vie sociale, Perdre sa place dans un système d’interdépendances avancées est une épreuve douloureuse, elle signifie pour celui qui la subit la perte de son utilité sociale.

Le débat avec les sociologues allemands, les controverses autour de la théorie de l’organicisme, le solidarisme ou la nouvelle carrière du concept de solidarité.
Max Weber avait déjà constaté que si les deux grands types de « relations sociales solidaires » – le type communautaire (communalisation) et le type associatif (sociation) – correspondaient à des formes d’organisation opposées, ils pouvaient l’un et l’autre en tant que types idéaux, participer à la même structure sociale et aider ainsi à la compréhension du lien social. La communalisation relève du sentiment qu’éprouvent les hommes de s’appartenir mutuellement, d’être engagés dans une vie collective qui intègre chacun de façon entière ; la sociation repose sur la recherche de compromis d’intérêts motivés rationnellement, soit en valeur, soit en finalité.
Durkheim a abandonné son concept d’organisme social parce que René Worms en particulier, l’a tiré vers l’organicisme et le solidarisme, pour éviter toute confusion sémantique entre usage métaphorique et méthodologique. Un homme politique, Léon Bourgeois, a créé la doctrine du solidarisme, qui une idéologie n’ayant rien à voir avec les concepts de Durkheim.

2 – Attachement et socialisation

Attachement et contrôle social : l’intériorisation des normes, les parents, l’école et les pairs
Les sociologues ne se limitent pas, comme les psychologues et les psychiatres, à la théorie de l’attachement entre l’enfant et l’adulte, lien fondamental du développement de l’individu, ils sont sensibles à la pluralité des liens qui attachent les individus aux groupes et à la société : la famille, l’école, les associations, les communautés, les organisations professionnelles, la nation, etc? L’être humain est un être défini par l’articulation de plusieurs types de liens sociaux.

Georg Simmel parle de l’entrecroisement des liens sociaux, pour lui l’homme est avant tout un « être de liaison ». Dès lors parler de société revient à parler du lien social, et parler du lien social, c’est avant tout partir du constat que « les individus sont liés par des influences et des déterminations éprouvées réciproquement. Ce qui le frappe, c’est la diversification des appartenances. Si l’individu se caractérise par une pluralité de liens sociaux. Son identité peut devenir plurielle.

Norbert Elias rappelle que l’homme aspire à rencontrer d’autres hommes il s’agit là des interdépendances universelles qui relient les hommes sur le plan social. Cette dépendance élémentaire ne se limite pas aux besoins sexuels, les hommes ont également besoin les uns des autres pour leur besoins affectifs.

Comment se constituent et se maintiennent ces attachements multiples à des groupes de nature différente ? : Trois dimensions : le contrôle social, l’habitus et la mémoire collective.

L’empreinte de l’habitus : l’empreinte du premier lien, attachement social et habitus.
Travis Hirschi : « nous ne sommes des êtres moraux que dans la mesure où nous sommes des êtres sociaux ». « L’essence de l’intériorisation des normes, de la conscience ou du surmoi réside donc dans l’attachement de l’individu aux autres.
L’empreinte du premier lien qui constitue la filiation biologique ou adoptive de l’individu est susceptible d’influencer sa personnalité future et ses relations à autrui. Ce lien sera d’autant plus fort que l’enfant apprendra à répondre aux stimulations qu’il recevra dans ses apprentissages et qu’il recevra en retour des signes de reconnaissance et d’amour.


Chez Pierre Bourdieu, le concept d’habitus désigne une manière d’être, une capacité à s’orienter dans le monde social et à adopter les pratiques adaptées aux conditions objectives : « Les conditionnements associés à une classe particulière des conditions d’existence produisent des habitus, systèmes de dispositions durables et transposables, structures structurées prédisposées à fonctionner comme structures structurantes, en tant que principes générateurs et organisateurs de pratiques et de représentations… ». L’habitus fonde le sens pratique et permet aux individus d’adopter les conduites qui leur semblent aller de soi sans qu’ils aient le sentiment d’obéir mécaniquement à une règle.

La mémoire collective de l’attachement : l’ancrage social et spatial des souvenirs, l’exemple de la mémoire familiale.
Si l’attachement relève de dispositions incorporées, conformément au concept d’empreinte ou d’habitus, il est aussi inscrit dans la mémoire collective. L’ancrage social et spatial des souvenirs : « on peut dire aussi bien que l’individu se souvient en se plaçant du point de vue du groupe, et que la mémoire du groupe se réalise et se manifeste dans les mémoires individuelles ». Autrement dit, la mémoire est un fait social.


L’exemple de la mémoire familiale : en tant que groupe domestique, la famille a une mémoire propre, au même titre que les autres communautés, ce qui la caractérise, ce sont les rapports de parenté et les évènements marquants que l’on envisage sous un angle familial. C’est pourquoi la famille se distingue des autres groupes par son caractère relativement clos et par les contacts réguliers entre ses membres, ce qui permet une connaissance intime, profonde et réciproque de chacun d’eux.
La mémoire familiale a trois fonctions : transmission, reviviscence et réflexivité.

3 – Le tissage des liens sociaux

Protection et reconnaissance : l’héritage du solidarisme, les formes de l’État providence, protection sociale universelle et société salariale, les sphères de la reconnaissance, les formes de mépris, « compter sur » et « compter pour ».

Pour les sociologues, l’être humain est un être de liaison défini par l’articulation de plusieurs types de liens sociaux. Ils s’accordent sur le fait que leur discipline est la science des relations sociales, imposées et transmises par le milieu – les cadres de socialisation – et telles qu’elles sont vécues et entretenues par les individus. L’attachement social est conçu comme l’entrecroisement et la régulation de différents types de liens sociaux : assignés dès sa naissance (famille, clan, nation) et les liens de contractualisation (participation volontaire à une association ou profession, etc.). Le premier lien exprime la communauté qui préexiste et de laquelle il dépend, le second une association d’individus autonomes. À cette première distinction, suit celle de la morale (morale domestique, morale professionnelle, civique, associative.

Les liens sont multiples et de nature différente, mais ils apportent tous aux individus à la fois la protection (ressources familiales, communautaires, professionnelles, sociales…) et la reconnaissance (interaction et valorisation sociale) nécessaires à leur existence sociale.
De la doctrine du solidarisme à la création de la Sécurité Sociale la route a été longue. Trois éléments primordiaux : 1 période historique, à la fin de la guerre de 1939/45, favorable aux forces de gauche et aux organisations ouvrières, ressources limitées instituant un rationnement plutôt égalitaire, généralisation du système de protection sociale ; 2 réduction progressive de l’assistance ; 3 notion de citoyenneté sociale et idée que l’individu adulte a des droits en tant que citoyen.


Les formes de l’État providence : le modèle libéral, corporatiste ou continental, et le modèle social-démocrate ou nordique. Ces modèles relèvent d’une analyse idéal-typique. Cette analyse permet de comprendre les modes d’organisation des sociétés occidentales par rapport à la protection sociale en général et les formes spécifiques de stratification sociale qui en découlent.
Protection sociale et société salariale : on a commencé de parler de société salariale au moment où elle se délitait après la fin des Trente Glorieuses, lorsque le chômage de masse est réapparu. Robert Castel inscrit ce mouvement dans le cycle long des transformations du rapport salarial, et non dans le cycle court des crises économiques. Après avoir été la condition des gens misérables, le salariat est devenu la forme élémentaire de l’intégration sociale organisée et régulée par l’État social, mais il risque de devenir une situation dangereuse.


Trois sphères de la reconnaissance : 1 l’amour de toutes les relations primaires sous le modèle des rapports érotiques, amicaux ou familiaux impliquant un nombre restreint de personnes ; 2 la reconnaissance juridique qui confère aux individus une responsabilité morale et des droits ; 3 l’estime sociale est rapportée à la contribution de l’individu à la réalisation des fins poursuivies par la société et jugées légitimes par elle. Les rapports d’estime sociale sont l’enjeu d’une lutte permanente.
Les formes du mépris renvoient aux différentes formes de reconnaissance.
« Compter sur » et « compter pour » peuvent résumer la protection et la reconnaissance. Ces deux dimensions fondamentales du lien apparaissent dans les situations de pauvreté, et par leur contraire, – déficit de protection et déni de reconnaissance.


Quatre types de liens entrecroisés : le lien de filiation et la morale domestique, le lien de participation élective et la morale associative, le lien de participation organique et la morale professionnelle, le lien de citoyenneté et la morale civique.
Si les quatre types de liens sociaux ne sont pas donné à l’avance – ils sont la conséquence d’une socialisation – le lien de filiation et le lien de citoyenneté ont en commun d’assigner un groupe à chaque individu dès sa naissance (famille pour le premier, nation pour le second), tandis que le lien de participation élective et le lien de participation organique relèvent en revanche d’une « participation » volontaire, fondée sur un choix affinitaire pour le premier ou une contractualisation pour le second.


4 – Les régimes d’attachement social

Attachement social et réseaux : une sociologie des relations interpersonnelles, liens forts et liens faibles.
L’attachement social correspond à un processus, à la fois individuel et collectif, d’entrecroisement de liens sociaux précédemment définis. La dimension collective est intrinsèquement liée à la capacité de régulation sociale de l’attachement. La sociologie des réseaux est à l’image d’une société qui se pense, se vit et se déploie en réseaux.
La sociologie des relations interpersonnelles a pour objet les relations sociales concrètes, telles que les individus les construisent.


Liens forts et liens faibles : le lien fort agrège, soude, tandis que le lien faible se résume à un échange d’informations. Selon cette distinction, les ponts sont toujours des liens faibles, mais leur rôle est fondamental pour permettre la mobilisation d’u groupe large, autrement dit, la fragilité d’un groupe peut être la conséquence de la rareté des liens faibles reliant les sous-groupes entre-eux et avec l’extérieur.

Attachement social et capital social : un mode de multiplication des ressources, une propriété de la société.
Le concept d’attachement social, tel que nous le définissons, se décline au niveau individuel et au niveau collectif. Il renvoie à la fois à une propriété de l’individu qui dépend des conditions de sa socialisation et à une propriété de la société dans son ensemble qui encadre, contrôle et régule ces conditions, en référence à différentes sphères de la morale.
D’après Pierre Bourdieu : « Le capital social est l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance et d’inter-reconnaissance.

La cohérence normative de l’attachement social : un mode de régulation, quatre régimes d’attachement social.
Dans la hiérarchie des attachements, famille, patrie, humanité, Durkheim choisit la patrie, mais la question qui se pose, c’est comment chaque société hiérarchise-t-elle ces groupes ? Car chaque société a son propre système normatif qui exprime une trame spécifique.
Quatre régimes d’attachement social : familialiste régulé par le lien de filiation, volontariste régulé par le lien de participation élective, organiciste régulé par le lien participation organique et universaliste régulé par le lien de citoyenneté et prend toute sa force à partir de la morale civique
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Jean-Pierre Bernajuzan

À suivre n°2 – 2ème partie…

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