L’humanisme a été le premier facteur de laïcisation des sociétés occidentales

L’humanisme a été le premier facteur de laïcisation des sociétés occidentales

Dans son livre « Penser entre les langues », Heinz Wismann indique que le terme « humaniste » a signifié « humain » à l’époque où il est apparu. Les premiers textes humanistes ont été grecs-orthodoxes, et lorsqu’ils arrivés en Occident, on ne savait comment les interpréter ?? Les textes sacrés, on savait les interpréter : par le dogme catholique. Mais ces textes-là étaient tout autres, ils n’étaient pas divins, ils étaient humains, c’est à dire non divins. À l’origine, ce terme d’humaniste a signifié non divin. Pour arriver à interpréter ces textes tout à fait nouveaux, l’herméneutique a été sollicitée, voici ce qu’en dit Wikipédia :

« L’étude et l’interprétation des textes classiques (antiques) naît à la Renaissance : c’est la philologie. Les savants apprennent le grec et le latin, et développent des méthodes pour prouver l’authenticité ou l’inauthenticité d’un texte, et pour établir des éditions critiques des œuvres. C’est le retour aux sources et à la littéralité des textes. L’un des éminents représentants de cette nouvelle tendance est Guillaume Budé, illustre humaniste. L’une des victoires les plus éclatantes de la nouvelle philologie est la démonstration par Lorenzo Valla de la fausseté de la Donation de Constantin. Cet acte porte également une charge politique, car il démonte les fondements de l’autorité papale, qui s’appuyait sur ce fameux texte.
La Réforme protestante, sous la plume de Martin Luther et Jean Calvin, appelle à relire les textes religieux littéralement, par-delà les interprétations canoniques de l’Église catholique romaine. Il s’agit de détruire les couches sédimentées de conciles et de doctrines (la tradition) surajoutées aux textes, pour retrouver le texte biblique en sa pureté. Auparavant, la majorité du peuple n’avait pas accès au texte biblique, mais seulement aux interprétations qu’en donnaient les autorités religieuses. Avec les mouvements intellectuels de la Réforme et de l’Humanisme, conjoints à l’invention de l’imprimerie et au développement de l’éducation (qui fera reculer l’illettrisme), le texte biblique deviendra de plus en plus accessible, et l’autorité religieuse de plus en plus remise en cause quant à la lecture des textes sacrés.
Paradoxalement, cette affirmation selon laquelle la Bible serait claire par elle-même, et donc à lire de manière littérale, amène le lecteur à réinterpréter lui-même le texte sacré, sans qu’on ne lui impose des normes interprétatives rigides et incontestables. Le retour à l’« autorité » du texte littéral annonce la multiplicité « anarchique » des interprétations, qui ne peuvent plus être unifiées par une autorité normative. L’herméneutique moderne naît de la destruction de la norme : s’il n’y a plus de norme de lecture extérieure au texte, il faut apprendre à déceler soi-même le mécanisme interne d’un texte donné qui produit lui-même son propre sens, afin d’éviter la multiplication à l’infini des significations du texte en question, jusqu’à l’absurdité.
Ce retour à la littéralité sera illustré lors du procès de Galilée (1633), au cours duquel les théologiens privilégièrent le sens littéral de la Bible, en l’absence de preuves du mouvement de la Terre. Il aura des conséquences considérables dans l’Histoire. »

On le voit, par l’interprétation qu’ils suscitent, l’arrivée des textes humanistes remet en question les normes qui ordonnaient la vie et le pouvoir. Dorénavant, l’interprétation divine à laquelle chacun et tous étaient soumis sous peine d’excommunication et de mort, est remise en question, et partant, sa légitimité aussi. Une autre interprétation qui n’est plus divine mais humaine, légitime à son tour, la remplace progressivement. Progressivement donc, la légitimation divine qui ordonnait les sociétés occidentales jusque-là tend à être remplacée par une légitimation humaine : ce n’est plus Dieu qui est le grand ordonnateur du monde, mais l’homme lui-même.
Après la Révolution, le droit est devenu humaniste, c’est à dire qu’il n’a plus été fondé sur la référence divine mais humaine. En conséquence, l’Église a perdu son monopole de la détermination de la légitimité et de la norme, elle a perdu son pouvoir. Mais la culture française demeurait chrétienne bien-sûr, l’influence de l’Église restait donc importante par ce biais-là, ce qui lui permettait de s’opposer aux politiques républicains. Finalement, un modus vivendi a été obtenu par la loi de 1905 (de Séparation des Églises et de l’ État), une loi voulue d’apaisement, qui a été obtenue après des affrontements provisoires…

On voit ainsi que la laïcité a une longue histoire en France (et en Occident), elle s’inscrit dans la rationalisation de diverses natures, sociale et politique, scientifique et culturelle. L’appréhension du réel du monde devient de plus en plus scientifique, les interprétations religieuses en deviennent obsolètes car inefficientes au regard de la maîtrise de ce réel à la différence de la science. Il vaut mieux parler de laïcisation plutôt que de laïcité, car il s’agit d’un processus plutôt que d’un fait, la laïcité étant son aboutissement. La pensée religieuse avec sa foi ou sa croyance est la première pensée humaine, la première appréhension et interprétation du réel. En se rationalisant elle se laïcise.

La société occidentale est advenue par la socialisation individualiste ; plus elle s’individualisait, et plus l’individu était légitime. Plus l’individu devenait légitime, et plus sa légitimité lui était propre ; et plus la légitimation sacrée, divine, et grégaire refluait. L’humanisme n’a pas produit la légitimité des individus, mais il a construit les concepts de la formulation de cette légitimité individuelle, jusqu’à devenir le droit qui règle les valeurs occidentales. Le droit humaniste est un droit individualiste, qui affirme continument la légitimité des individus, avec leur liberté dans leur égalité.
La laïcité est advenue par l’individualisation. C’est pourquoi elle est incomprise et haïe par ceux qui demeurent encore grégaires, et dont la religion constitue la base identitaire. En conséquence, il est inopérant de se battre contre les idées et les déterminations religieuses. Il faut plutôt travailler à développer la socialisation individualiste, qui est d’ailleurs à l’œuvre dans le monde entier. Et c’est ce qui cause cette revendication religieuse, elle est une réaction à la perte de l’identité grégaire, et religieuse. Lorsqu’on est en difficulté, on se replie sur le groupe.

Yves Abilène

Jean-Pierre Bernajuzan

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