La « démocratie moderne » est le régime politique qui prend en compte les besoins et les attentes des citoyens… qui évoluent.

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Dans les débats politiques autour de la gouvernance d’Emmanuel Macron, on parle avant tout du formalisme démocratique, c’est-à-dire de l’encadrement formel de l’exercice du pouvoir démocratique, nécessaire certes, mais qui n’aborde pas le fond de la question : la prise en compte des désirs, des attentes et de la volonté des citoyens. Je n’emploie pas le terme de peuple parce qu’il a un sens unanimiste qui est mensonger, le peuple n’est pas unanime, il ne peut pas l’être. Le peuple exprime le « tout » de la population, mais ce tout est normalement divers, contradictoire et conflictuel, aussi le recours au peuple ne peut être en aucune manière une solution en soi, car la solution doit décortiquer tous les rapports sociaux qui s’exercent en son sein.

Plutôt que le peuple c’est la société qui est fondamentale,
parce qu’elle exprime la dynamique des rapports sociaux qui la font évoluer. La réalité de la société est toujours évolutive, elle n’est jamais figée même si on ne s’en rend pas compte. Les « sujets » autrefois, les citoyens aujourd’hui sont les acteurs de la dynamique de cette évolution, ce sont eux dont la démocratie doit prendre en compte les besoins et les désirs dans la dynamique de leur évolution.

Le politique se croit le maître des horloges alors qu’il ne fait que répondre aux besoins sociaux que les citoyens expriment ;
il croit qu’il peut imposer ses décisions aux citoyens parce qu’il aura été élu alors que c’est lui qui doit répondre à leurs attentes. Dans l’évolution, le politique est secondaire, c’est la société qui commande parce que c’est elle qui évolue, le politique ne fait que suivre après coup. Par son évolution la société subvertit l’ordre politique : ce n’est tout de même pas Louis XIV, Louis XV ou Louis XVI qui ont voulu la république, ce n’est pas la royauté qui a voulu la république !
Le moteur de l’évolution est social, il n’est pas politique. Le politique, étatique, vient après coup pour mettre en forme générale et en œuvre ce que la société a inventé par son évolution. Ainsi, la légitimité des politiques tient fondamentalement à l’adéquation de leurs politiques aux attentes des citoyens, et superficiellement à la forme de leur élection, on ne peut pas dissocier la forme et le fond, et c’est le fond qui prime parce qu’il porte l’évolution en cours tandis que la forme n’exprime que la légitimité d’un moment particulier.

Sur cette toile de fond sociale-politique se greffe la nature des réponses du politique aux besoins sociaux, elle est toujours économique.
Or l’économie ne résout pas les problèmes sociaux : on est aujourd’hui deux fois plus riches qu’il y a cinquante ans, malgré cette double richesse notre précarité n’a jamais été aussi grande, les problèmes sociaux s’accroissent au lieu de se résorber.

La réponse adéquate n’est pas économique, mais le politique ne connaît que l’économie, et tout autant ses opposants que Macron lui-même : pour chaque problème le politique vote des crédits, un budget, comme si l’économie produisait la société. Alors que c’est la société, les citoyens composant la société qui en travaillant produisent l’économie ; l’économie est l’effet, le résultat du travail de la société et non l’inverse. Ce n’est pas la charrue qui tire les bœufs, elle n’est pas le moteur, ce sont les bœufs qui le sont.

C’est la société qui est le moteur dynamique, pas l’économie.

En privilégiant l’économie on subordonne les citoyens à leur travail comme si c’était leur travail qui les produisait eux-mêmes alors que ce sont eux qui produisent leur travail. Ce renversement de perspective provoque des souffrances croissantes auxquelles le politique ne répond pas. Le politique s’enferre dans sa politique exclusivement économique aggravant sans cesse la condition des travailleurs-citoyens, les politiques proposées sont inadéquates aux différents problèmes récurrents, mais les politiques ne savent pas faire autre chose.

Comme il ne sait pas faire autre chose, plutôt que s’interroger sur le bien-fondé de ses politiques, le politique au pouvoir stigmatise ses opposants, les voue aux gémonies, les traite de « populistes » : populiste est un terme qui sert à délégitimer ceux que l’on en accuse. En ce moment les populistes sont majoritaires, ce qui pose un problème de légitimité à notre démocratie.

Depuis des décennies, et à mon avis depuis la fin des Trente Glorieuses, les politiques des gouvernements successifs ont été à côté de la plaque,
à côté des besoins et demandes des Français (qui ne connaissaient pas les bonnes réponses eux-mêmes). Après l’espoir déçu de l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, puis de toutes les politiques menées ensuite par les différents gouvernements, une frange croissante d’électeurs-citoyens s’abstient ou vote pour d’autres partis que les partis de gouvernement, parce que leurs politiques ne leur convenaient pas.
Depuis sa démarche de dédiabolisation, Marine Le Pen a élargi son électorat bien au-delà de l’idéologie initiale du Front National, son électorat représenterait les deux tiers d’origine protestataire, et pour le premier tour de la présidentielle de 2022, elle a été privée d’une grande partie de son électorat idéologique par la candidature d’Éric Zemmour, ce qui fait que son électorat non-idéologique a certainement dépassé les 80%, c’est-à-dire donc 80% de protestataires. Par le « Front républicain » boycottant le RN, on délégitime ces électeurs-citoyens protestataires qui refusent la politique des partis de gouvernement : c’est un déni démocratique.

Ces électeurs-citoyens abstentionnistes + protestataires sont devenus majoritaires,
mais les partis de gouvernement veulent tout de même imposer leurs politiques. Le politique gouvernant prétend toujours gouverner démocratiquement, alors la majorité des électeurs-citoyens refuse ses décisions.
Et ce refus concerne également toutes les autres sphères autres que politique, c’est un refus général qui exprime l’évolution normale et naturelle de la société, mais le politique reste arc-bouté sur ses positions. Le politique bloque. Jusqu’à quand ? C’est toujours le politique qui bloque, il a le pouvoir, il veut le garder, jusqu’à ce qu’on le renverse.

Pour que la démocratie puisse perdurer il faut que les politiques menées en son nom soient viables.

Jean-Pierre Bernajuzan

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