L’Union européenne manque de souveraineté

Drapeau européen

 

Encore une fois, l’Union européenne n’est pas à la hauteur des besoins dans l’urgence de la pandémie, c’est récurrent. Quand on compare l’efficience des États, on ne peut que constater qu’elle sait créer des normes mais est incapable de prendre des décisions, d’agir, en un mot de gouverner.

La première raison de cette impuissance est que l’Union européenne est une création des États déjà existants possédant leur souveraineté. L’UE a été voulue comme une extension de ces États pour leur donner plus de puissance, mais sans qu’ils renoncent un tant soit peu à leur souveraineté. En définitive, l’UE n’est que ce que les États qui la composent veulent qu’elle soit, et surtout pas davantage. Les décisions fondamentales sont prises par les États – par leurs représentants élus, l’UE ne fait que les mettre en œuvre. Si les États ne s’entendent pas entre eux, l’indécision règne. Les États veillent à ce que l’UE n’ait pas de budget propre suffisant pour qu’elle ne puisse agir de son propre chef, en conséquence elle est impuissante lorsque les États n’unissent pas leur action. Cela signifie que l’Union Européenne n’a pas de souveraineté propre.

La deuxième raison repose sur la manière dont la souveraineté est acquise. Les États-nations occidentaux ont acquis leur souveraineté par l’adhésion individuelle de leurs citoyens, et non par une quelconque adhésion grégaire de type tribu, peuple ou communauté. C’est l’individualisation de l’adhésion, ou de l’appartenance, qui a donné à ces États-nations leur souveraineté. En France particulièrement, c’est le recours à la justice royale contre la justice des seigneurs qui a renforcé constamment le pouvoir de l’État royal aux dépens des pouvoirs locaux, ce qui a permis à la royauté de réduire leurs prérogatives. Pour résumer, l’adhésion individuelle des « sujets » a donné le pouvoir au roi de réduire celui des seigneurs locaux, ce qui leur a progressivement ôté leur souveraineté au profit du roi représentant l’État.

La socialisation individualiste précède l’avènement de l’État-nation

L’adhésion individuelle à une structure étatique suppose une socialisation individualiste, ce qui est le cas des sociétés occidentales.
Mais ailleurs dans le monde subsistent de nombreuses « sociétés grégaires » de tribus, clans, communautés culturelles ou religieuses et peuples divers. Dans ce cas, les États sont constitués d’alliances entre les divers groupes qui composent le pays, les individus-citoyens n’ont pas droit à la parole en tant que tels, c’est l’équilibre des groupes qui assure leur souveraineté. C’est le cas au Moyen-Orient : l’État libanais est structuré sur la base des communautés religieuses qui le composent, c’est donc un État divisé qui est incapable de répondre aux besoins de sa population. En Syrie, on peut analyser les premières manifestations du « printemps arabe » comme des revendications individualistes, c’est-à-dire des demandes qui satisfassent les besoins individuels dans une société moderne. Mais le pouvoir politique syrien étant structuré sur la base grégaire de l’équilibre des tribus, clans et communautés religieuses, le succès de cette « révolution » aurait fait perdre le pouvoir au clan qui le détenait. En réaction à cette menace, il a réactivé ses alliances grégaires, tribales et religieuses, car ses ennemis, grégaires aussi, comptaient bien le lui prendre. Avec le résultat que l’on connaît, car l’individu n’y a pas de valeur propre.
Il en va de même pour l’ensemble des États de la région. Aussi, l’État-nation ne s’y instaure pas, ces États sont fragmentés en groupes divers dont l’unité est impossible car ils s’y dissoudraient.
L’État-nation, c’est-à-dire l’État dans l’unité de la nation, ne peut s’y constituer, c’est par l’ensemble des individus qu’il pourrait l’être. Quand le groupe prime sur l’individu, l’unité de la société est impossible, comme celle de l’État qui est alors arbitraire, faible ou dictatorial.

L’Union Européenne se retrouve dans la position d’un État grégaire

Le paradoxe est qu’elle représente le rassemblement d’États qui, tous, sont démocratiques donc individualistes et humanistes, et que leur union produise une entité archaïque grégaire !
La base de la modernité démocratique et humaniste repose sur la légitimité individuelle, qui repose elle-même sur l’émancipation des individus à l’égard de leurs groupes familiaux et tribaux, les tribus ont disparu depuis longtemps en Occident. Cette légitimité individuelle s’est construite par une structuration sociale, par la socialisation individualiste et non par des philosophies qui ne sont venues qu’après pour formuler les attendus de la nouvelle socialité parce qu’elle existait déjà. Baser l’évolution sociale et politique sur les idées est une erreur, les idées ne pouvant exister sans les sociétés qui les portent.
S’individualiser au niveau européen suppose reléguer l’appartenance nationale au second plan. Or toutes les solidarités sociales et économiques sont organisées au niveau national : nous cotisons, payons nos impôts, répartissons les revenus et les dépenses au niveau national, ce qui produit la cohésion sociale nationale. L’Union européenne n’a pas de budget social et ses ressources proviennent des États-nations adhérents. Sans appartenance, sans solidarité sociale directe et sans ressources propres, il paraît difficile de promouvoir la souveraineté européenne.
Puisque la nation exprime la solidarité sociale politique et identitaire, on pourrait promouvoir l’idée de « Nation européenne ». C’est par l’appartenance et l’identification individuelles directes à l’Europe que l’on peut espérer l’atteindre. Les États-nations demeurent incontournables pendant encore longtemps, ils restent le socle de l’égalité et de la liberté individuelle démocratique.

La construction de l’Union européenne est la seule démarche de dépassement démocratique de l’État-nation, État-nation dont la limite est patente dans le monde actuel et à venir.

Jean-Pierre Bernajuzan

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.